C'est l'histoire d'un mec qui entre dans un bistro ... 

... et qui tombe sur un vélo tranquilement accoudé - si le terme accoué peut être employé lorsqu'on parle d'un vélo - au comptoire en train de siffler une pinte de Karmeliet triple. Le mec trouve ça étrange mais pas tant. Faut dire, depuis qu'il traine les bistros de Nantes et d'ailleurs, il en a vu des choses bizares.

Il va donc se poser au comptoire non-loin de cet individu - ou "cyclovidu" - pas commun. "C'est vrai qu'il ressemble à un vélo, pensait-il, mais c'est p't-être qu'une impression".

Indécis, il choisit de suivre son voisin de comptoire et répondit au regard interrogateur du barman: "Karmeliet triple, en pinte!".

Sur ce, le vélo entama la discution: 

"- Karmeliet? On voit les connaisseurs.." (remarque, certe, très superficielle et d'une banalité sans nom mais qui, ne le nions pas, ouvre une porte à celui dont la discution ne fait pas peur).


Ainsi s'ouvrit le dialogue entre nos deux personnages. S'ensuivit des éloges à la Belgique et leurs bières non seulement succulentes, mais aussi fortes car, on a tendance à l'oublier, ce n'est pas que pour leur subtils mélanges de saveurs que nos amateurs de mousses rafolent des brasseries de leurs voisins bouffeurs de moules-frites.

Passées les banalités d'usage, deux solutions s'offrent en générale à nous, accoudé au comptoire, face à un presque parfait inconnu:

  1. On se rend compte qu'on n'a plus rien à se dire et l'on cherche, gêné, la première occasion pour s'esquiver..
  2. L'alcool aidant, la conversation nous est très agréable, le type d'en face sympa, on baisse sa garde et c'est reparti pour un tour souvent moins superficiel.

Bon ok, vous allez me dire, il peut se passer beaucoup plus de choses que ça, genre le mec va pisser, rencontre une vieille connaissance pas vue depuis l'école primaire qui à vachement bien vieillie et oublie complètement l'autre pochtron sur son comptoire et vous avez raison!! Il peut se passer un nombre incalculable de trucs pas prévus dans un bar, mais si on commence comme ça on est pas couché.


Résultat, les banalités épuisées, plusieurs pintes de bières non seulement succulentes mais aussi fortes sifflées par chacun de nos deux personnages - nos deux acolytes ont-il un grand stock de banalités ou un fort respectable levé de coude? L'histoire ne le précise pas -, l'option numéro 2 l'emporte avec 63% des voix (89% d'abstention selon l'agence de sondage "le kiff de sonder"):

"- Moi c'est Tass, j'suis un ninja.

- Enchanté mec, moi c'est Sugi Pula, j'suis un vélo.

- Un vélo? Et depuis quand les vélos parlent?

- Et depuis quand les ninjas écoutent les vélos qui parlent?"

Cette remarque persistante - qui était en fait une question qui, elle-même, était en fait une réponse à la question du ninja - laissa celui-ci tout perplexe. Il l'accepta néanmoins - car pas dénuée d'une certaine logique - avec un lègé hochement d'épaule suivi d'un:

"- Pas con".



Les banalités épuisées, les présentations faites et une nouvelle bière - non seulement succul.. - TA GUEULE! - ok, ok ... - déjà bien entamée, la conversation gagna en intimité.

Sugi Pula en avait sa claque de sa routine de vélo urbain: "Toujours les mêmes trajets: boulot, bistro, dodo. Et depuis combien de temps? Je préfère même pas compter tien... Ça va un moment mais là je pète un cable, j'ai l'impression de pédaler dans la s'moule ... ". Et Tass parlait de changer le monde par le bas: "Mais j'te parle pas d'faire la révolution hein! Seulement de vivre en accord avec ses idées, de dev'nir l'exemple quoi! Tu vois?".

Et que ca commence à partir dans tous les sens entre projets de voyages et essaie phylosophique sur le temps:

"- Et ca te tente pas l'Amérique Latine? On ferait une putain d'équipe tu crois pas? Genre moi je porte, toi tu pédales.

- Mais carrément! Mais alors sans avions, sans bagnoles, sans se presser, en prenant l'temps de vivre bordel! C'est ca qui nous manque: le temps."

Bref, la discution de comptoire classique passé une certaine heure, genre sans fin.


Mais voilá que, sorti de nul part, apparaît un individu étrange - qui peut parraître familier à ceux passant suffisament de temps au bistro - qui vient se coller tout à côté de nos deux nouveaux meilleurs potes.

Petit, le dos légèrement vouté, quelques cheveux gris et gras plaqués du còté droit, un petit visage pas désagréable à la vue mais tout rougi par l'alcool avec une barde laissée à l'abandon depuis trop longtemps d'où une bouche à la dentition hasardeuse et au doux parfum de bière de lendemain de soirée - pour ceux ne l'ayant pas reconnu, c'est LE pilier de bar - articule: 

"- Foutaises! Vous ne ferez rien, que dalle! Comme tout l'monde. Vous ne changerez ni votre vie chiante, ni ce monde pourri. J'entends ce discours tous les jours et dans le meilleur des cas, tout ce qui change, c'est le rade dans lequel on discute et la personne à qui on raconte toutes ces conneries. Demain vous serez trop occupés à soigner votre gueule de bois et à préparer la suivante pour vous rappelez de tout ca! J'avais les mêmes rêves à votre âge et voyez où j'en suis aujourd'hui."

Nos deux amis se regardèrent, yeux écarquillés, sans trop savoir quoi dire. Tous deux se demandaient si ce p'tit vieux était venu leur casser leur trip gratuitement ou si quelque chose de constructif allait sortir de cette vague de pessimisme alcoolisée.

L'autre repri:

"- Ecoutez les jeunes, j'vous propose un deal. Il est ... (il regarda sa montre tout en fermant son oeil gauche) 1h53 du mat', dimanche 1er avril 2012. J'vous donne un mois, ET PAS DE POISSON D'AVRIL QUI TIENNE! Si dans un mois jour pour jour vous en êtes toujours au même point, que rien a changé, vous me payez chacun une pinte de Karmeliet. Triple. En revanche, si d'ici un mois vous avez réellement démarrés quelque chose qui va changer ne serait-ce que votre petite vie merdique, c'est moi qui vous rince. Vous en dites quoi les jeunes?

- Une pinte? Je marche!

- Moi pareil.

- Vous relevez le défi. J'aime ça. Un mois, pas un jour de plus. On s'reverra les jeunes, comptez sur moi."



Sur ces dernières paroles, les plombs sautèrent et le bistro se retrouva dans l'obscurité complète. Un cri retentit: "PROFITEZ-EN PAS POUR PARTIR SANS ..." (surement le parton du bar), mais avant d'avoir pu finir sa phrase, la lumière revient. " ... PAYER!" (oui, c'était bien le patron).

Nos deux amis constatèrent avec surprise que le vieux pilier de bar avait disparu. Avaient-ils tous les deux taper une hallu ou ce petit vieux était-il venu juste pour les mettre au défi? 

Dans le doute, il commandèrent une dernière tournée et décidèrent de prendre très au sérieux le pari du pilier de bar du 1er avril.


C'est ainsi que commenca une aventure pour le moins bancale que personne (et surtout pas nos deux alcoolytes) ne pris vraiment au sérieux.



OST: Die Antwoord - Never Le Nkemise 1